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LE POUVOIR DE DÉPENSER DANS LE CADRE DU
DROIT CONSTITUTIONNEL CANADIEN

 

INSTRUMENT DU FÉDÉRALISME COOPÉRATIF

 

Par MICHEL MAHER

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Nous savons tous que le pouvoir de dépenser permet au Parlement fédéral de verser aux provinces, organismes ou individus certaines sommes à des fins pour lesquelles il n'a pas nécessairement le pouvoir de légiférer. Cette pratique a vu le jour avec l'émergence des grandes politiques économiques établies par John Maynards Keynes à l'effet que, l'intervention de l'État permet de stabiliser l'économie par un soutien de la demande au moyen de dépenses gouvernementales. Historiquement, celles-ci visaient, dans le contexte de la fin de la 2e Guerre mondiale, à éviter à tout prix le retour de la crise économique des années 20.

 

Le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, peut s'expliquer par l'importance des normes nationales dans l'application des principes égalitaires, et par l'importance de la notion de garantie de l'exercice des compétences des provinces, dans le respect du partage des pouvoirs. Il peut être exercé, non seulement par le moyen des dépenses budgétaires, mais aussi par les déboursés réels qu'entraînent certaines concessions fiscales. En raison de son importance et de sa portée en finances publiques, il serait souhaitable qu'un tel pouvoir soit enchâssé dans le cadre de la constitution.

 

Que l'exercice d'un tel pouvoir doive nécessairement se situer dans le cadre d'un fédéralisme coopératif est une évidence. Le fait qu'il soit parfois difficile à court terme de concilier les intérêts du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux en est une autre. Certes, c'est un exercice délicat que de trouver un juste degré d'autonomie et d'intégration. Cependant, il est de l'essence même du régime fédéral de rechercher cet équilibre.

 

Le présent mémoire vise à expliquer comment le pouvoir de dépenser a émergé de l'évolution des finances publiques pour devenir un instrument privilégié du fédéralisme coopératif.

 

 

 

 

PARTIE I - LES ASPECTS POLITIQUES ET FINANCIERS DU POUVOIR DE DÉPENSER

 

A) Les aspects politiques

 

Parce que le fédéralisme est fondé sur le principe que le tout vaut davantage que la somme de ses parties, l'idée qu'il serait prétendument immuable irait à l'encontre même de son essence. Le pouvoir de dépenser, élément central des finances publiques au Canada est lui-même produit d'une évolution du fédéralisme fiscal canadien. Cette analyse repose sur les conclusions de la plupart des grandes commissions d'enquêtes et comité d'études qui ont porté sur la question.

 

Dans un État fédéral comme le Canada, les finances publiques sont structurées en fonction d'arrangements financiers entre l'État fédéré et l'État central.

Ce principe est le Fédéralisme fiscal: il permet de concilier le respect de l'autonomie des provinces et le rôle du gouvernement central en tant que responsable des politiques de stabilisations économiques.

 

Deux formes d'arrangements financiers se sont développés. Certains se reconnaissent dans une formule de partage selon les dépenses et d'autres dans un partage selon les recettes. Ces deux systèmes correspondent à des approches opposées l'une de l'autre relativement au degré d'autonomie, de flexibilité et d'intégration qu'ils permettent aux États participants. Alors que les modèles de fédéralisme classiques étaient monolithiques, les modèles de fédéralisme actuellement en utilisation représentent plutôt des systèmes mixtes intégrant péréquation et programmes à frais partagés.

 

Les modèles de fédéralisme classiques se distinguent du fédéralisme coopératif à trois autres niveaux; soit constitutionnel, financier ou fiscal:

 

1) En matière constitutionnelle, ils sont cloisonnés alors que nos systèmes coopératifs reconnaissent l'interdépendance (ou la portée nationale de problèmes en apparence locaux ).

 

2) En matière financière, ils appliquaient le principe de Connexité, soit la nécessité d'une liaison entre les compétences législatives et les charges financières. Si cette notion s'appliquait au Canada, même de façon implicite, le pouvoir de dépenser serait inexistant.

 

3) En matière fiscale, le fédéralisme classique applique un principe de Responsabilité financière, un concept par lequel le gouvernement fédéral et les gouvernements fédérés sont respectivement responsables de leur gestion budgétaire et de la couverture de leurs dépenses budgétaires par des revenus autonomes. Ce concept ne peut s'appliquer, pratiquement, qu'en accord avec la notion d'autonomie budgétaire et d'autonomie de financement des dépenses.

 

A l'opposé, en fédéralisme coopératif, on applique un Renversement du principe de responsabilité, où d'une part les pouvoirs d'un gouvernement central dépassent le cadre du partage cloisonné des compétences législatives Deuxièmement, les besoins des États fédérés se sont également élargis et dépassent le cadre limité que leurs revenus autonomes leur permettaient.

 

La nature même du principe fédéral dépasse le parcours du temps. K.C. Wheare, parlait des pouvoirs coordonnés mais non subordonnés. D'autres auteurs parlent de la réunion de 2 tendances contradictoires, le besoin d'autonomie et d'intégration des États fédérés.

 

Ils s'illustrent financièrement dans un système de finances publiques visant l'équité horizontale à l'échelle des individus et à l'échelle des provinces. C'est le Paradoxe de Clark.

 

Ce principe signifie qu'à l'échelle des individus, la considération des droits et besoins justifie les transferts conditionnels. A l'échelle des provinces, elle justifie les transferts inconditionnels. Nous pensons que cette analyse reflète, de façon concrète et réaliste, la dualité du régime fédéral.

 

 

B) Les aspects financiers

Dès les débuts de la confédération, le gouvernement fédéral a été appelé à contribuer financièrement aux opérations des provinces au delà des versements prévus dans la Loi Constitutionnelle de 1867. Il le fit en considération pour la cession de la compétence de celles-ci en matière de droits douaniers.

 

Dans la période contemporaine, l'évolution des transferts du gouvernement fédéral aux administrations provinciales peut être illustrée en quatre phases: la période Keynésienne (1939 à 1957), la période de décentralisation (1957-1970), la période d'expansion (1970-1987) et la période de rationalisation (1987-). Les trois premières périodes affichent une croissance constante de la proportion des transferts dans les budgets des administrations provinciales, alors que la dernière en démontre le recul; l'importance des transferts est toujours primordiale.

La première période, dite Keynésienne, est celle où la masse des dépenses gouvernementales est considérée en tant qu'instrument de politique économique. Cette période, caractérisée par un degré élevé de centralisation, s'explique par la combinaison de plusieurs facteurs: le Rapport de la Commission Rowell-Sirois, la participation du Canada à la Deuxième Guerre mondiale, l'influence de la pensée Keynésienne sur les hauts fonctionnaires et les leaders politiques et enfin, la crainte sérieuse d'une récession au cours de l'après-guerre. Ainsi, le Rapport Rowell-Sirois recommandait que le gouvernement fédéral prenne en charge la responsabilité de l'assurance-chômage et des pensions de vieillesse, et qu'il ait en retour l'exclusivité des compétences en matière d'impôts sur le revenu; le rapport proposait également la formule des subventions d'après la norme nationale (à l'origine de la péréquation que l'on connaît). Cette position s'explique dans le contexte de l'époque et en particulier, par les faits suivants:

 

          - En raison de l'effort de guerre déployé, l'appareil administratif du gouvernement fédéral avait pris des proportions sans précédant qui pouvaient être mis au service d'objectifs nouveaux.

           

          - Dans le cercle du pouvoir à Ottawa, un certain nombre d'hommes politiques et de fonctionnaires avaient été formés à l'école de John Maynard Keynes.

           

          - La crainte d'une récession dans l'après-guerre était fondée sur l'expérience douloureuse d'une grave récession suivant la Première Guerre mondiale.

           

           

Pendant cette époque où le gouvernement n'est plus désormais considéré comme un ménage, on admet qu'il puisse encourir des déficits à conditions qu'il réalise l'équilibre ultime par des excédents perçus pendant les années prospères. C'est le principe d'une politique budgétaire anticyclique. En théorie, elle vise à stimuler la croissance par la politique fiscale en période de chômage et à la réduire par la politique monétaire en période d'inflation. Ceci constitue une application des objectifs généraux mentionnés plus haut. En pratique, la période Keynésienne donnera lieu aux premiers programmes sociaux d'envergure; on peut citer en exemple le "New Deal" aux États-Unis et les grandes réformes d'après-guerre au Canada.

 

Suivra la période des années soixante, dite "de la décentralisation fiscale", où sont reconnus les particularismes régionaux. Il s'agira aussi d'une époque caractérisée par un ordre de priorité inusité, le système de gestion financière étant désormais profondément modifié. Les administrations centrales jouent maintenant un rôle moins actif dans la gestion financière, les unités administratives ayant acquises une latitude qu'elles n'avaient jamais eue auparavant. C'est l'éclosion des systèmes "Planification-programmation-budgétisation" et des systèmes de gestion par enveloppes budgétaires encore en application aujourd'hui. C'est pendant cette époque que les transferts aux provinces connaîtront une croissance de 8.1%, et où l'ensemble des dépenses budgétaires passera de 9.0% à 17.1%.

 

Puis survient la période 1970-1975, pendant laquelle l'inflation fait rage à cause du triple choc pétrolier. Le gouvernement fédéral se trouve alors devant un accroissement inattendu des recettes, en raison de l'inflation, combiné aux taux d'impôts progressifs. C'est à ce moment que d'importantes décisions sont prises en faveur d'une expansion permanente des budgets sans que soit pour autant assuré le caractère permanent des recettes futures correspondantes.

 

          - au chapitre des recettes la décision est prise d'indexer le tableau des exemptions fiscales;

          - en matière de dépenses budgétaires, les programmes sociaux se développent et se raffinent tant dans leur structure que dans leur mission.

C'est cette lancée que l'évolution des finances publiques suit encore à l'aube de l'année 1987; par l'effet combiné de la baisse des recettes liée aux cours du pétrole et à la récession mondiale, les programmes de dépenses ont fini par placer l'État fédéral dans une situation financière contraignante. Confronté à la baisse des recettes fiscales, à une croissance irréversible de ses coûts d'opération, et au fardeau du service de la dette, le gouvernement fédéral est forcé de recourir à de nouvelles mesures pour s'acquitter de ses obligations. C'est la période de rationalisation des services et des impôts massifs. Il s'agit d'un revirement aussi brutal qu'inattendu.

 

Deux questions se posent alors. Comment la situation des finances publiques a-t-elle pu évoluer de cette façon? Comment le gouvernement pourrait-il à la fois relancer l'économie et assainir ses finances publiques?

Le problème se pose aussi de la façon suivante: au cours des trois premières périodes d'expansion, le gouvernement fédéral était appelé à participer conjointement aux programmes avec les administrations provinciales. C'est alors que sont apparues les premières formes d'exercice du pouvoir de dépenser. Les seules conditions que l'État fédéral imposait alors étaient des critères discrétionnaires.

 

Les divers paiements de transferts aux provinces étaient basés ou imputés à des programmes de services publics. Aujourd'hui c'est l'un des aspects les plus importants des finances publiques et les provinces comptent sur ces sommes. Le gouvernement fédéral se gardait la plus grande partie des programmes de développement régional et de diversification économique. Certes, ceci permettait au gouvernement fédéral de récupérer les redevances politiques de telles opérations. Toutefois cela s'explique par la nature même de ces formes de transferts dont le niveau est relié aux besoins des provinces bénéficiaires plutôt qu'à leur capacité de payer.

 

Pourtant on considère que la relance de l'économie devrait être initiée par les autorités locales en raison des ressources maintenant limitées du gouvernement fédéral. Ce dernier ne peut facilement libérer d'espace fiscal supplémentaire en raison du service de la dette qui a pris des proportions considérables. Ceci nous amène à des remises en question majeures. Premièrement, on révise le bien-fondé des modalités permettant l'application de politiques centralisatrices en vertu desquelles le pouvoir de dépenser joue un rôle si important. Deuxièmement, on reconsidère la façon d'exercer ce pouvoir. Afin de procéder à cet exercice, il importe de considérer les fondements juridiques de ce pouvoir ainsi que son usage dans le contexte de la mondialisation.

 

 

PARTIE II - LES FONDEMENTS JURIDIQUES DU POUVOIR DE DÉPENSER

 

La contrepartie à l'adhésion au fédéralisme canadien n'est que raisonnable. En acceptant d'être partie au fédéralisme fiscal, le Québec, comme d'autres provinces, accepte de bénéficier des avantages reliés aux économies d'échelle et aux pouvoirs financiers accrus dont un gouvernement central dispose pour agir dans leur intérêt commun. Le pouvoir de dépenser n'est qu'un aspect du fédéralisme fiscal qui comporte aussi le versement de subventions non-conditionnelles. Le fédéralisme fiscal comporte par le pouvoir de dépenser, d'autres avantages reliés aux transferts conditionnels qui ont permis l'établissement de normes nationales. On ne peut nier l'importance de telles normes dans des domaines tel que de la santé. Si pour d'autres domaines de telles normes ne sont pas acceptables, il est toujours possible d'en négocier les modalités de retrait dans le contexte du régime fédéral actuel. Par exemple le Québec a déjà bénéficié des points d'impôts reliés à son retrait négocié au financement des programmes établis sans que son droit de retrait avec compensation soit enchâssé dans la constitution.

 

L'expérience du Québec est précieuse au moment où l'évolution financière du pays nous force à revoir certains éléments essentiels du fédéralisme. Pour ce faire il importe de considérer les aspects juridiques du pouvoir de dépenser mais aussi son rôle dans le contexte de la mondialisation.

 

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Nous en arrivons au coeur de ce mémoire qui traite des fondements juridiques du pouvoir de dépenser. Nous y exposons en un premier temps les systèmes de prélèvement obligatoire et dans un deuxième temps le pouvoir de dépenser en tant que tel.

 

Le système de prélèvements obligatoires et son fondement constitutionnelle dans un État fédéral est très pertinent relativement au "pouvoir de dépenser" . D'une part, il pourvoit aux ressources qui en permettent l'exercice, et d'autre part, le pouvoir de dépenser peut s'exercer directement par l'usage de concessions fiscales.

 

Dans la Loi constitutionnelle de 1867, les deux compétences principales en matière d'imposition se trouvent aux paragraphes 91(3) et 92(2). Le paragraphe 91(3) prévoit que le Parlement fédéral détient un le pouvoir d'imposition par tout mode ou système de taxation. Selon le paragraphe 92(2), les législatures des provinces ont une compétence restreinte à l'égard des systèmes de taxation directe dans les "limites de la province, (en vue de prélever des revenus) pour des objets provinciaux".

 

Bien que ces deux pouvoirs doivent s'harmoniser, les tribunaux n'ont jamais voulu les interpréter comme si le Parlement n'était pas fondé de prélever des impôts pour des fins qui relèveraient davantage du ressort des provinces. C'est précisément ce qui facilite le pouvoir de dépenser dont la partie suivante expose les théories.

 

 

A) Énoncé des théories

 

Le pouvoir de dépenser fait l'objet depuis 1869 d'une reconnaissance du Conseil privé de Londres. Cependant, on n'a jamais réussi à circonscrire avec précision les tenants et aboutissants de ce pouvoir, qui sont, du reste, assez obscurs.

Dans l'arrêt A.G. for Canada v. A.G. for Ontario, le Conseil privé déclare que les lois affectant des sommes du fond consolidé à des domaines relevant de l'article 92 sont ultra vires. Cette réserve est plus ou moins juste pour plusieurs raisons. D'une part, elle n'est pas explicite et, d'autre part, les interventions du gouvernement fédéral sont tellement interreliées avec un ensemble de considérations ayant trait aux transferts aux provinces que ces dernières n'ont pas trouvé opportun de dénoncer ce qui, autrement, pourrait être un acte ultra vires, puisqu'elles en tirent un certain bénéfice.

De plus, tout ce qui a trait au fédéralisme fiscal n'est que peu judiciarisé en raison de la très grande complexité des enjeux politiques et financiers en cause. Or, dans ces deux matières, les tribunaux se sont toujours montrés réticents à intervenir, préférant laisser toute latitude au processus décisionnel des assemblées délibérantes des représentants élus par la population.

 

Dans son ouvrage politique, Subventions fédérales-provinciales et le pouvoir de dépenser du Parlement canadien, P.E. Trudeau soutient que le pouvoir de dépenser est une compétence du Parlement au titre de laquelle celui-ci est autorisé à dépenser dans des domaines aux sujets desquels il n'a pas nécessairement le pouvoir de légiférer. D'autres auteurs ont examiné la source du pouvoir de dépenser. Le professeur F.R. Scott prend position en faveur d'une théorie fondée sur la prérogative royale de faire des dons. Pour sa part, le Barreau canadien maintient que ce pouvoir se fonde sur les articles 91(3) et 102 de la Loi constitutionnelle de 1867. Par ailleurs, dans son article "Spending power", E.A. Driedger propose une théorie du pouvoir de dépenser fondée sur les articles 102 et 106 de la Loi Constitutionnelle de 1867, qu'il compare à l'article 81 de la Constitution Australienne.

 

La source du pouvoir de dépenser est très significative car elle permet d'en déterminer la portée. Par exemple, le Barreau suggère qu'il s'agit d'un pouvoir quasi-illimité, sauf si l'affectation de ces sommes a pour effet de réglementer un domaine de compétence provinciale. Cela, faut-il le préciser, n'empêcherait pas la dépense elle-même mais plutôt les conditions rattachées à leur octroi.

 

S'il est acquis qu'un pouvoir de dépenser ne peut émaner de la théorie de situation d'urgence, il n'en demeure pas moins qu'il pourrait être invoqué conjointement avec ce pouvoir. Le jugement rendu dans Renvoi sur la validité de la loi anti-inflation illustre bien le caractère particulier des lois d'affectation de crédits en déclarant constitutionnel l'exercice d'un pouvoir d'urgence en matière économique.

 

En raison de son importance en tant qu'instrument du fédéralisme fiscal, le pouvoir de dépenser devrait être fondé sur des principes constitutionnels explicites et stables. En outre, il devrait s'appuyer sur des principes de responsabilité financière et d'autonomie budgétaire et refléter l'interdépendance des paliers de gouvernements, en régime fédéral. Surtout, il devrait favoriser l'équilibre des tendances contradictoires du régime fédéral, tel que défini par K.C. Wheare.

 

 

B) Analyse

 Pour comprendre le fondement juridique du fédéralisme fiscal, l'analyse des théories relatives au pouvoir de dépenser est essentielle. À cette fin il importe (1) de bien présenter les théories, (2) de dégager la perspective de chacune d'elles et ensuite (3) de confronter la valeur de leurs fondements. Nous en sommes à l'étape de dégager des perspectives et de la confrontation.

À notre avis, la valeur d'une théorie peut-être appréciée sous différents aspects, juridique, politique, ontologique (en tant que tel), axiologique (relatif aux valeurs) et téléologique (en rapport avec sa finalité).

Nous reconnaissons parmi les fondements juridiques, les théories interprétatives qui sont dérivées des dispositions spécifiques de notre loi constitutionnelle des théories idéologiques qui se rapportent davantage à un modèle théorique de l'État fédéral.

Les théories des doyens Wheare et Chevrette (pouvoir inhérent et double capacité juridique), du professeur Scott (théorie du don), répondent à l'approche idéologique.

Les théories du juge Laforest (pouvoirs financiers et double capacité) celles des professeurs Smiley-Burns (déséquilibre fiscal) et des professeurs Driedger (droit comparé) et Hogg (affectation des crédits) illustrent mieux l'approche interprétative. On ne peut retenir les théories du Document de travail du gouvernement fédéral, et de l'Association du Barreau Canadien pour le motif qu'elles négligent totalement les principes du fédéralisme fiscal.

Pour apprécier la valeur juridique d'une théorie, il importe d'en évaluer les considérations pratiques dans laquelle son application s'inscrit. Par exemple la théorie de Smiley et Burns, qui se fonde exclusivement sur le déséquilibre fiscal et le pouvoir d'imposition étendue du gouvernement fédéral, ne permet pas de qualifier le niveau d'intervention du Parlement fédéral dans les compétences exclusives des provinces. Également une théorie qui ne se fonderait que sur l'usage et le droit international ne permet aucune considération d'une jurisprudence constante qui s'oppose à l'empiétement des compétences provinciales par accessoire à la mise en oeuvre des obligations internationales.

Les Professeurs Scott et Hogg, en se référant à la réciprocité et au pouvoir de dépenser des provinces, contredisent le paragraphe 92(2) ainsi que les effets pratiques du système fiscal intégré en application au Canada.

Au demeurant, les théories de Scott et de l'ABC sont incompatibles avec l'intégrité du régime fédéral en raison de l'absence de considération pour le principe de la garantie d'exercice des compétences. Elles pourraient facilement justifier plusieurs lacunes dont par exemple, l'absence de consultation relative aux coupures massives dans les transferts inconditionnels, le refus ou réticence d'accorder un droit de retrait avec compensation.

Une théorie qui néglige les principes d'économie politique introduits dans le cadre de notre droit interne, ne permettrait pas d'apprécier le désengagement du gouvernement fédéral dans les domaines de compétences provinciales. Nous pensons que l'ensemble des théories présentées comporte cette difficulté, avec le résultat connu dans le Renvoi sur la loi anti-inflation

Pour apprécier la valeur politique d'une théorie, la justification politique proposée par l'auteur n'est pas nécessaire. On peut fort bien s'accommoder des effets juridiques qu'elle amène afin d'en démontrer la pertinence dans la réalité socio-économique. Par exemple, une théorie dont l'application nie sans nuances le droit de retrait avec compensation (dans le cadre d'un programme de transferts conditionnels aux administrations provinciales) ne répond pas aux critères téléologiques du fédéralisme fiscal. C'est le cas des théories du Document de travail du gouvernement fédéral et du professeur Scott.

Certains critères peuvent servir à la fois dans une analyse téléologique que dans une analyse axiologique. Par exemple le caractère conditionnel ou inconditionnel d'une subvention touche autant les valeurs que les finalités d'une théorie.

Seules les théories du professeur Laforest, Hogg et Anastopoulos démontrent un fondement axiologique en considérant le principe de connexité, de responsabilité fiscale et d'interdépendance.

Seule les théories du professeur Anastopouls et du doyen K.C. Wheare ont une base téléologique en se référant à l'équilibre des pouvoirs en régime fédéral. Les professeurs Laforest, Bettz et Hogg ont par ailleurs démontré un souci pour l'autonomie des provinces en suggérant les limites aux conditions pour l'un et le droit de retrait avec compensation pour l'autre.

Quelques auteurs considèrent non essentiel l'enchâssement du pouvoir de dépenser. Il s'agit des professeurs Scott, Wheare, LaForest, Bettz. Les professeurs Smiley et Burns sont seuls à s'y opposer. Pour eux le système actuel est flexible et devrait le rester.

En revanche, le professeur Anastopoulos et le Doyen Chevrette estiment essentiel qu'il soit au moins reconnu. Le Rapport du Comité constitutionnel de l'Association du Barreau Canadien ainsi que le Document du gouvernement fédéral suggèrent une reconnaissance explicite avec des restrictions dans l'exercice.

C) Une nouvelle conception

Une théorie du pouvoir de dépenser, en tant que d'un pouvoir implicite, pourrait éclore de l'action réunie de la garantie d'exercice des compétences des provinces et de la responsabilité fiscale fédérale. En raison du partage des compétences et du déséquilibre des ressources d'un système fiscal intégré, les provinces ne pourraient exercer leur rôle sans les transferts fédéraux ,et, le gouvernement fédéral ne pourrait agir en leur lieu et place sans empiéter sur leurs domaines de compétences exclusives. Ce fondement pratique au pouvoir de dépenser comporte des modalités juridiques particulières dans notre constitution.

L'utilisation des transferts fédéraux à des objets provinciaux a son fondement dans les principes généraux de la constitution. Il est justifié tant par l'étendue des compétences fiscales et financières que par celle des pouvoirs d'affectation des crédits. Il suffit de lire les paragraphes 91(4) et 92(3) quant aux compétences financières, et les articles 102, 106 et 126 relativement à l'emploi du revenu consolidé. Le pouvoir fédéral permet d'affecter le fond au service public en général alors que celui des législatures est restreint au service public réservé à celles-ci. Lorsque le Parlement fédéral adopte une législation relative à l'affectation de crédits aux provinces, il a le pouvoir et même le devoir d'apporter des conditions quant à leur étendue et à la nature de leur utilisation.

Les conditions visant l'étendue des transferts sont fondées sur la responsabilité fédérale en matière de politiques de stabilisation économique et de principes d'économie politique introduit en droit fédéral Canadien, en application des paragraphes 91(14), (15), (18) et (19) et de l'article 111,.

Les conditions visant la nature de l'utilisation des transferts sont fondées sur l'équité horizontale des résidents de différentes provinces en application des garanties fondamentales de protection égale sous la loi. Plutôt que de constituer une réglementation dans les domaines de compétences des provinces, qui du reste peuvent accorder des protections additionnelles, ces transferts conditionnels représentent le minimum que la société veut se donner à l'échelle nationale.

 

 

 

PARTIE III - LE POUVOIR FÉDÉRAL DE DÉPENSER DANS LE CONTEXTE DE LA MONDIALISATION

 

Pour comprendre comment le pouvoir fédéral de dépenser est toujours aussi important aujourd'hui, il faut d'abord accepter le fait que le droit international affecte nos grandes politiques économiques et de façon très concrète, notre politique fiscale et notre droit interne.

 

Le Canada est membre de la communauté internationale. Il en tire des avantages énormes. Si l'on considère que le commerce extérieur pour chaque dollar gagné au Canada est toutes proportions gardées, 3 fois plus important qu'il ne le serait pour les États-Unis, il est évident que notre intérêt est d'être partie aux ententes internationales en matière monétaire et commerciale. Mais cette appartenance a un prix.

À titre de membre du FMI et du groupe de la Banque mondiale, le Canada est restreint dans sa politique monétaire, tout comme, à titre de membre du GATT et de la nouvelle Organisation pour le commerce mondial, il est restreint dans sa politique commerciale. Naturellement, ces ententes ont des répercussions sur la politique économique du pays tant à l'extérieur qu'à l'intérieure des frontières.

 

Plus spécifiquement, elles auront des effets la politique monétaire qui est intimement liée à la politique fiscale. À cet égard et dans but de maintenir l'union monétaire, il est indispensable que les États fédérés partagent aussi un système fiscal intégré. Par exemple, même l'Union européenne, qui en est à la phase pré-fédérale, est confrontée avec les conséquences qu'imposent le choix d'une monnaie unique. Tel qu'il est démontré dans le Rapport Ruding, les États membres de la communauté européenne devront intégrer leurs systèmes fiscaux s'ils visent sérieusement un système monétaire unifié. Ainsi, les effets d'une politique monétaire restrictive pourront être compensés de façon plus efficace par des actions à l'échelle régionale ou étatique.

 

De même au Canada, la fiscalité est justement le domaine d'action qui permet ces actions à condition de rester intégrée. Par sa compétence fiscale, le Parlement fédéral a plus de discrétion pour adopter des mesures de soutien à une région ou une catégorie donnée de personnes ou d'entreprises. Par exemple, lorsqu'en raison des obligations internationales, le fardeau des politiques commerciales est particulièrement astreignant, des mesures fiscales peuvent en contrebalancer les effets nuisibles dans certaines industries comportant une importance stratégique ou certaines régions plus vulnérables.

 

Dans le régime fédéral actuel, le système fiscal est intégré tout en étant assez flexible pour permettre l'exercice d'une certaine autonomie provinciale par le moyen des transferts par points d'impôt. Par exemple, le Québec bénéficie d'un espace fiscal libéré d'impôts qui lui accorde l'entière maîtrise des préférences fiscales de son régime d'imposition et des ressources financières qui en découlent. Si l'on ajoute cet espace fiscal acquis par l'évolution du fédéralisme aux compétences fiscales dont il dispose déjà aux termes de la constitution, le Québec dispose à la fois les avantages d'un marché commun intérieur et des politiques nationales de redistribution d'une plus grande richesse, ainsi que, de moyens importants pour assurer lui-même son développement et la spécificité de sa culture.

 

La politique fiscale, qui est un levier économique fondamental, est aussi un facteur d'importance cruciale dans l'usage du pouvoir fédéral de dépenser. Son rôle, comme instrument économique est lié à l'accroissement des engagements des États relativement aux règles de droit international économique. En ce que ces règles conditionnent l'efficacité et la disponibilité des autres instruments, la politique fiscale donne au gouvernement un avantage comparatif par la discrétion dont il bénéficie à l'égard d'un système fiscal intégré. Il s'agit en quelque sorte d'un effet compensateur.

 

Dans les deux cas la mise en oeuvre des engagements du Canada dans la conjoncture actuelle, passe par une action financière et juridique. Au niveau financier on s'accorde quant à la nécessité de la compression des dépenses gouvernementales avec une dette publique nationale de près de $700 milliards. Au niveau juridique, le législateur fédéral a introduit en droit canadien des principes d'économies politiques reconnus internationalement mais aussi des mesures conformes aux normes acceptables par les marchés financiers en matière de gestion budgétaire. En conséquence, le Canada a maintenant une obligation légale de réduire son déficit, de contrôler son inflation et de maintenir le niveau de sa devise. Par ses restrictions dans les matières commerciales, le Canada est aussi contraint d'aménager sa base d'imposition de sorte que les préférences fiscales favorisent l'investissement, l'emploi et la consommation.

 

Nous avons vu que l'émergence du pouvoir de dépenser coïncide avec celle des règles internationales. Ces règles internationales, paradoxalement à leurs objectifs avoués, maintiennent parfois les rapports de force des puissances dominantes. Il nous reste à savoir si le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux pourront s'entendre sur une formule permettant un usage efficace du pouvoir de dépenser dans un contexte international d'une complexité accrue et d'une compétitivité plus redoutable. Il semble que le nouveau Transfert Social Canadien s'inscrit dans cette démarche d'accorder davantage de flexibilité aux arrangements financiers entre les deux niveaux de gouvernements.

 

Sur le même sujet, voir aussi dans (1995) Revue du Barreau Canadien, 559

LE POUVOIR DE DÉPENSER DANS LE CADRE DU DROIT CONSTITUTIONNEL CANADIEN: INSTRUMENT DU FÉDÉRALISME COOPÉRATIF

PAR MICHEL MAHER

 

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